Monomaniaque 3


En ces temps de maturité digitale presque enfin accessible à tous, aborder le sujet du Lp mono et ses moyens de reproduction peut sembler totalement anachronique et en tout cas fort décalé de ce qui nous intéresse ici d’habitude.
C’était sans compter le mélange de passion et de curiosité, d’exigence et de rigueur qui caractérisent en partie notre hôte, l’invitant à tendre l’oreille vers cette niche à la fois virtuellement obsolète et clairement postmoderne. Je le remercie de me laisser carte blanche pour tenter d’en définir quelques contours non-exhaustifs et d’exprimer un peu de ma propre passion.
La monophonie est intrinsèquement liée à l’invention et à l’histoire de la musique enregistrée, évoluant avec le développement des moyens de reproduction sonore pendant près d’un demi-siècle jusqu’à ce que la stéréo vienne lui ravir la place et scelle finalement son destin vers la fin des années 60. Si toute la production musicale de cet âge d’or est évidemment disponible en stéréo et sous différents formats, régulièrement augmentés de pistes inédites et alternate takes, c’est pour ma part l’envie d’écouter ces enregistrements tels qu’ils furent réalisés à l’époque qui a présidé à mon exploration.En tant qu’amateur et collectionneur de disques de jazz depuis quelques décennies, l’évidence du mono ne m’est apparue hélas que tardivement, disons à la fin du 20e siècle. Auparavant seule la seule version stéréo adaptée au standard et à la norme de mise en oeuvre du système d’écoute de référence, la “chaîne hifi” – était disponible, avec éventuellement le choix souvent prohibitif de l’import U.S ou japonais. Je restais ainsi longtemps persuadé que le summum du vinyle de jazz était un import japonais et chérissais mes pressages nippons 80’s de Miles Davis.

Le mono semblait un truc dépassé, juste un cran au-dessus des 78 tours inécoutables des grands parents. Les Lps mono familiaux avaient été joués au mieux sur des électrophones rustiques au saphir rarement changé et à part du vieux jazz dixieland, des récitals de piano ou de la chanson française genre cabaret rive gauche, il semblait qu’il n’y avait quand même pas grand chose à écouter.
Pour ma défense, j’argumenterai que les années 90 étaient tellement incroyablement riches de nouveautés musicales: hip hop, trip-hop, soul, funk, house, scène acid-jazz et electroniques, pour lesquelles je me passionnais, qu’il y avait déjà fort à faire à collectionner les Lps et 12″s “essentiels” sans avoir en plus à s’occuper du mono.
Mais avec le recul je dois avouer que c’est surtout pour faire bonne figure, en essayant de ne pas trop repenser aux incroyables disques aujourd’hui inaccessibles qui m’ont filé entre les doigts dans les bacs de disquaires où les amateurs venaient revendre leur collection pour “passer au cd”,  jusqu’aux temples du vinyle U.S qu’étaient Amoeba à San Francisco ou Aaron’s Record Shop à L.A, voire dans des entrepôts d’invendus où j’avais la chance d’aller traîner régulièrement.

C’est évidemment plus tard, en creusant un peu plus ma collection et en cherchant à l’optimiser que le virus du mono s’est insidieusement installé, m’inoculant le doux poison du pressage original et de son éventuelle supériorité sur les “repressages” plus tardifs – sujet épineux et inépuisable sur lequel on reviendra ultérieurement, à charge ou à décharge. Je me permettrai ici un bref aparté sur la condition même de collectionneur de LP,  une espèce fort différente du mélomane ou du passionné de musique.
Pour le collectionneur, la dimension d’objet physique du LP – artefact  d’une époque à un instant donné, est aussi –  voire plus – importante que la musique elle-même, quoique les deux soient évidemment étroitement liés. Ainsi prennent toute leur importance la pochette et ses caractéristiques propres, la “main” du carton et des papiers utilisés, la qualité de la photogravure, le cadrage des visuels, le graphisme, la densité du vernis, etc.
S’il est bien un domaine où le tropisme du “c’était mieux avant” devrait être vérifié, la pochette de LP original figurerait en bonne place.
Il se trouve donc qu’historiquement et pour ce qui est du jazz qui nous occupera principalement ici, le pressage mono est souvent LA version originale de l’enregistrement tel qu’il fut conçu et réalisé par l’ingénieur du son, le producteur et  dans une moindre mesure, le ou les musiciens eux-même.
On m’opposera que l’objet LP n’est qu’un support de reproduction de l’enregistrement lui-même, sans doute fort différent de la session originale et qualitativement inférieur à la bande master, reléguant sa prétendue originalité et authenticité là où l’impératif commercial de l’époque voulait bien la tolérer. Ce sont des arguments tout à fait valables mais,  faute de mieux, un LP mono fort de ses limites et de ses défauts, est bien l’artefact le plus proche et le plus authentique d’une prise de son de jazz moderne, par exemple enregistré dans le salon des parents de Rudy Van Gelder à Hackensack, New Jersey en 1952.à suivre…

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